Ca promet ! Les propositions faites par la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) semblent prometteuses, parfois ambitieuses, bien souvent tangibles, dans l’air du temps. Elles ont au moins le mérite d’exister et nobles sont les intentions à l’origine de cette aventure. Suite à la réponse du Président Macron lundi 29 juin dernier, il est grand temps de faire un retour sur les volets « consommer » et « travailler/produire ». La question de l’énergie et des transports fera quant à elle l’objet d’un article intégralement tourné vers ce sujet crucial et passionnant.
Une chose est sure : cet exercice, le premier du genre d’une telle ampleur, aura été globalement une réussite de démocratie participative. Pour Michel Badré (ancien haut fonctionnaire et notamment ex-président de l’Autorité environnementale, instance du ministère de l’Ecologie), « l’expérience qui vient de se tenir est remarquable en ce que les citoyens se sont appropriés ces sujets complexes ». Un bon point pour la majorité.
Toujours en préambule, rappelons simplement l’objectif assigné à la CCC par Emmanuel Macron l’automne dernier à la suite du mouvement des « gilets jaunes » : réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’au moins 40% d’ici à 2020, par rapport à 1990. Pas une mince affaire… Le Président de la République française se serait alors engagé à reprendre l’ensemble des propositions « sans filtre » adoptées par la CCC dans des projets de loi débattus au Parlement ou en les soumettant à référendum. Il vient par ailleurs d’annoncer le déblocage de 15 milliards d’euros supplémentaires sur deux ans pour la conversion écologique de notre économie ». C’est bien sauf que le Haut Conseil pour le climat aurait évalué le besoin à 5 milliards de plus et ce, chaque année… Et puis de l’argent sur la table c’est bien mais où, quand et comment ?
Pour commencer, concernant les recommandations sur l’obligation de réparation, le désir d’augmenter la longévité des produits et d’encourager l’écoconception, le panel de citoyens de la CCC a proposé que « d’ici à 2023, tous les produits manufacturés vendus en France devront pouvoir être réparés. Cela fait écho à la Loi européenne plastique proclamée par le Conseil de l’UE qui oblige ses états membres à recycler tous les objets en plastique, alors que les plastiques à usage unique devront avoir disparu. Ok pour le Président.
Pour moins et mieux consommer, les « 150 » ont également plébiscités le fait de créer une obligation d’affichage de l’impact carbone des produits et services, de limiter le suremballage, développer la consigne, tandis que l’offre de vrac, dans les moyennes et grandes surfaces, devra atteindre dans chaque rayon 25 % du sec et du liquide en 2023 et 50 % en 2030. Ok pour le Président.
Pour que l’ensemble de l’appareil de production soit adapté, d’ici à 2030, pour contribuer à la diminution des émissions de GES, la CCC insiste pour que les investissements soient orientés en direction des projets « verts » innovants.
D’autre part, cette dernière était favorable à ce que les entreprises distribuant plus de 10 millions d’euros de dividendes annuels soient contraintes de participer à l’effort de financement de la transition écologique à hauteur de 4 % du montant des dividendes distribués ; contre 2 % pour les entreprises distribuant 10 millions d’euros ou moins.
Là c’est non pour Macron, comme pour deux autres « jokers » retoqués d’emblée par le chef de l’exécutif*. Dommage, le débat aurait mérité d’être posé. Cette mesure ne sera donc ni transmise à Bercy, ni au Parlement, pas plus qu’elle ne sera soumise à référendum. Cela témoigne d’une certaine frilosité de la part d’un Président guère enclin à accroître la fiscalité au nom de l’urgence écologique. En effet, si l’on met un pied – à défaut d’envoyer un pavé – dans le mare de la fiscalité, il n’est donc pas question (pour le moment) de rétablir l’ISF ou la progressivité de l’impôt sur les revenus financiers. Pas davantage de taxation envisagée non plus sur les transactions financières ou les GAFA ou encore de suppression d’exonérations fiscales sur le fuel lourd ou le kérosène. Si la fiscalité incitative est la seule ressource mobilisée, des risques d’injustice sociale corélés existent.
Autre idée intéressante acceptée par M. Macron toujours sur le volet « travailler/produire » : d’ici à 2025, arriver à accompagner les salariés et les entreprises dans cette transition. Si ces dernières devraient rendre publics leurs bilans carbone annuels, celles qui ont un bilan positif bénéficieraient d’un bonus, et les subventions, aides fiscales et obtention de prêts seraient directement liés aux empreintes carbone.
Sur le numérique, celui-ci devrait, selon eux, évoluer pour diminuer ses impacts environnementaux avec notamment la systématisation des labels sur tous les équipements, l’allongement des durées de garantie à cinq ans, ou encore le développement de la « mutualisation de services du numérique ». Les « 150 » ont estimé primordial le fait de lancer un moratoire sur la 5G. Réponse du gouvernement : le lancement des enchères dès la rentrée car « la 5 G (serait) une technologie essentielle à la compétitivité de notre pays », dixit la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie Agnès Pannier-Runacher. Alors qu’une « mission d’inspection » a été lancée, le pouvoir en place assure prendre ses « responsabilités sanitaires et environnementales » sur ce sujet clivant. A suivre, de près.
L’éducation a aussi fait l’objet de plusieurs propositions validées « en première instance » par M. Macron. Parmi elles, la généralisation de l’éducation à l’environnement et au développement durable dans le modèle scolaire français, en en élaborant une mission transversale des enseignants et en reliant « compréhension de l’urgence climatique et passage à l’action », c’est-à-dire, notamment, en encourageant « la participation citoyenne ». Alléchant sur le papier. Un chantier de plus à mettre en musique ou plutôt en mode éducation, avec notamment son lot de freins bureaucratiques et de blocages passéistes et/ou politiques.
Autres mesures fortes et parfois originales : la mise en place d’« un CO2 Score » pour permettre au consommacteur de savoir si « ce qu’il achète est bon pour le climat » ; l’inscription d’une mention telle que « En avez-vous vraiment besoin ? » avant la confirmation d’achat sur Internet ; le développement de « chèques alimentaires pour les plus modestes ». Les membres de la désormais association des « 150 » tiennent en outre à ce que la publicité soit beaucoup plus réglementée, avec l’interdiction des panneaux publicitaires dans les espaces publics extérieurs, ainsi que celle des écrans vidéo supports promotionnels dans l’espace public, les points de vente et les transports en commun. Le dépôt de toute pub dans les boîtes aux lettres serait interdit à partir de janvier 2021. Ils ont également exprimé leur désir d’interdire toute pub pour les produits « les plus émetteurs », comme certaines voitures. Sur ce point, Bruno Lemaire, ministre de l’économie, a exprimé son désaccord mardi 30 juin sur RMC et BFM TV.
D’autre part, dans un souci de mieux protéger la biodiversité, la convention a voté la tenue d’un moratoire sur l’exploitation minière en Guyane (projets « Montagne d’or » et « Espérance »).
Sur le même sujet, les citoyens ont proposé de contrôler et sanctionner plus efficacement les atteintes aux règles environnementales, de renforcer et centraliser l’évaluation et le suivi des politiques publiques dans ce domaine, en créant par exemple un parquet spécialisé sur les questions environnementales, et de renforcer la formation de tous les juges sur l’environnement. Là encore pas de gros point d’achoppement pour le moment.
Alors que la CCC proposait de nommer un défenseur de l’environnement (à l’instar du Défenseur des droits ; et en faisant en sorte ne pas reproduire le fiasco du mandat de Ségolène Royal feu ambassadrice des pôles), le président français a assuré aux citoyens qu’ils auront « un droit d’alerte » si un blocage leur semble incompréhensible ou si quelque chose ne leur parait pas suffisamment ambitieux. Il a de surcroit martelé qu’ils pourront suivre l’évolution du travail du gouvernement à toutes les étapes de la discussion. Par ailleurs, d’autres conventions citoyennes sur d’autres sujets connexes devraient voir le jour « prochainement ». Enfin, une réforme transformerait le Conseil économique social et environnemental en une « chambre des conventions citoyennes ».
Vous vous dites « c’est assez » ? Quatrième « joker caché » où ça ne joue manifestement pas entre Macron et la CCC : le CETA (accord économique et commercial bilatéral de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada) dans lequel la question du climat est la grande absente. Cet accord en place, jusque-là provisoire, n’a pas de limite en termes de durée, ni de processus d’évaluation. Rappelons enfin que le Canada n’est pas le pays le plus irréprochable en matière d’émissions de GES par habitant. Pas de volonté de renégociation du traité donc. Pas plus pour ce qui est de l’accord entre l’UE et le Mercosur, en phase de finalisation… Les cétacés ont du souci à se faire.
Pour conclure, quid de l’allégeance de l’équipe gouvernementale – ressentie ou avérée – aux lobbies et aux catégories les plus riches ? Si l’on se fie à un communiqué d’ATTAC publié dans la foulée de la réponse de M. Macron, ce dernier aurait laissé entendre que les propositions de la CCC se doivent d’être pleinement compatibles avec la politique économique menée par l’exécutif, insistant à plusieurs reprises sur la nécessité de travailler et de produire, et « non de décroître » les activités nocives pour la planète, voire les populations en général, etc. Dans ce paysage économique et dans la configuration politique actuelle, que restera-t-il de cette CCC dans six, douze ou vingt-quatre mois ?
Aux « 150 » de faire campagne pour que ce combat, ce travail et ces mesures infusent dans toute les couches de la population. Cyril Dion, figure de proue du mouvement, déclarait dernièrement : « l’enjeu, c’est que le débat qui a lieu à 150 se diffuse à 44 millions d’électeurs ». Pour que, petit à petit, la souris décroissance fasse son trou et ne soit plus uniquement qualifiée de concept totalement saugrenu voire un gros mot, à l’heure où la biodiversité et le modèle capitaliste tendent à s’écrouler (et non s’écouler!) de concert. Plus que de décroissance, à mon sens, c’est d’une croissance verte et d’écolonomie (= créer/entreprendre sans détruire) dont le monde a absolument besoin. Moins de capitalisme et plus de coopératisme.
Un crime d’écocide puni de 20 ans d’emprisonnement par la Cour pénale internationale, vous imaginez ? Quarante ans après l’abolition en France de la peine de mort, ce serait hautement symbolique, un pas de géant (vert), bond en avant sans doute décisif pour la suite de la conjoncture. Je rêve d’un monde où Richard Powers serait président des Etats-Unis.
*Les 3 propositions (sur 150) réfusées par Emmanuel Macron sont la taxe de 4 % sur les dividendes (« pour ne pas risquer de freiner les investissements »); la réduction de la vitesse sur autoroute à 110 km/h (« débat reporté ») et la réécriture du préambule de la Constitution (« la protection de l’environnement ne peut se placer au-dessus des libertés publiques »).
Sources :
http://biosphere.ouvaton.org/blog/biosphere-info-un-consensus-sur-le-climat/
https://reporterre.net/Emmanuel-Macron-digere-et-edulcore-les-mesures-de-la-Convention-climat
Très intéressant votre article, notamment la partie sur l’éco conception et la généralisation de l’éducation à l’environnement. Nous luttons aussi pour la création de produits respectueux de l’environnement.
Nous nous retrouvons dans votre propos « Moins de capitalisme et plus de coopératisme. »
N’hésitez pas à venir faire un tour sur lastswab.fr et encore merci pour cet article enrichissant.
Gui
Un article enrichissant ! Merci d’avoir me donné une vision globale de l’écolonomie !
Bel article avec de belles sources, je partage ce contenu !
C’est très intéressant de voir les plus hautes sphères de nos administrations prendre part pour l’enjeu écologique. Espérons pour autant que ces promesses deviennent des actes plus que des actes purement politiques qui n’auront plus d’impact au régime suivant.
Alice