N’avez-vous jamais rêvé de faire un bond de 150 ans en arrière pour vous retrouver dans une vallée encaissée en train d’observer des troncs d’arbre être consciencieusement sciés à la force d’une roue à augets ? Depuis le milieu des années 90, l’association « Thônes Patrimoine et Culture » vous permet de réaliser cet authentique voyage, à la découverte de la vie du scieur d’antan, ses outils, mais pas seulement…
Alors qu’on dénombrait sur tout le territoire plus de 60 scieries de ce type au début du XXème siècle, les élus et habitants de Thônes décidèrent, avec le soutien de la famille du dernier scieur, d’offrir une seconde vie à ce haut lieu patrimonial. L’Ecomusée est ainsi « une structure d’animation du patrimoine qui lie la culture et le travail des Hommes à l’environnement naturel, notamment à travers le bois et la forêt, l’activité forestière étant très présente dans nos vallées de Thônes et des Aravis. L’Ecomusée abrite une ancienne scierie hydraulique du 19ème siècle, élément central de des visites et activités, et supports à diverses médiations. Elle a été réhabilitée par la population locale et grâce à la volonté de la Commune de Thônes de conserver ce patrimoine ».
Depuis quelques années, l’Ecomusée du Bois et de la Forêt s’est étoffé (ex : installation d’un câble de débardage, création d’une mare pédagogique) pour devenir un espace de sensibilisation aux métiers du bois d’une part et au développement durable d’autre part, en particulier auprès des scolaires et des familles.
De surcroit, son champ d’actions est large puisque « chaque année, les membres de l’association proposent une programmation d’événements tout public liés à la découverte [du] patrimoine naturel, culturel ou encore économique ».
En plus de la visite de la scierie des Etouvières, sont également proposées les ateliers, animations et balades suivantes :
- Atelier d’initiation à la menuiserie pour enfants
- Animations « Les Apprentis Forestiers » & découverte du milieu aquatique
- Balades découverte « La Forêt nous Raconte » & « Nature et Paysages » : le sentier de l’Ermite…
Avec plus de 15 000 visiteurs accueillis chaque année (dont 250 à 300 classes), l’Ecomusée envoie du bois ! Il est en tout cas devenu un acteur pédagogique et touristique important du département.
Nicolas Villaume, directeur de la structure, incarne à merveille cette volonté de valoriser un site nature atypique afin de transmettre des messages écologiques à partir de la forêt et d’un métier ancestral quasi disparu.
Nous avons eu l’honneur de le rencontrer pour voir de quel bois il se chauffe et – plus sérieusement – quelles sont ses missions, sa vision, sa stratégie…
« Originaire d’un territoire très forestier, les Vosges, et ayant été confronté aux enjeux environnementaux dans [ses] campagnes dès [son] plus jeune âge », Nicolas a « été rapidement convaincu qu’agir dans le domaine de l’éducation à l’environnement était une des réponses à envisager pour notre société ».
Nous lui avons posé quelques questions dont voici ses réponses retranscrites telles quelles, tel un hymne limpide à la forêt en tant que système, à ses pouvoirs et ses bienfaits. Un formidable témoignage qui ne peut que nous donner envie de tenter l’expérience !
« L’outil écomusée, liant l’homme à la nature et valorisant un passé inspirant pour l’avenir, était un support intéressant pour moi, qui plus est dans une vallée et un massif que je connais et aime depuis longtemps.
Depuis les débuts de l’Ecomusée dans les années 90 et jusqu’à nos jours, la finalité de nos activités et des animateurs qui se sont succédés a été et est toujours d’amener à la prise du conscience du lien entre actions de l’Homme sur un territoire et la préservation de l’environnement. La notion d’écologie est en fait présente depuis les débuts de la structure. Seulement, le clivage patrimoine – nature, et la dualité entre « conservateurs du patrimoine » et « écolos » pouvait laisser entendre que les passerelles ne pouvaient pas se faire! Aujourd’hui, force est de constater que cette notion d’écologie est au coeur de notre activité et des demandes de la société, qu’elle est intimement liée à l’activité des Hommes en montagne, où l’impact n’est d’ailleurs pas systématiquement négatif, comme certains pourraient le penser. La filière bois, au même titre que l’agriculture, à un rôle positif à jouer dans la conservation et l’entretien des milieux et dans nos modes de consommation responsables (circuit court, etc.).
La forêt est complexe, diversifiée, et multiple… Ce qui s’applique sur la gestion de nos forêts localement ne pourra pas s’appliquer 50 km plus loin!
Cela dit, nos modes de consommation basés sur la mondialisation nous rendent responsables de problèmes environnementaux vécus loin de chez nous, en Amazonie, en Sibérie ou en Indonésie. Chez nous, une gestion durable et modérée de nos forêts, et l’utilisation « intelligente » de la ressource bois, peut amener à un respect de l’environnement, même en prélevant la ressource. En fait, tout réside dans la méthode et l’échelle! Il est vrai que notre vieille scierie saisonnière d’autrefois est un exemple. Sans vouloir être passéiste et revenir en arrière, je pense que ce modèle de petites échelles est inspirant, et fait travailler tout le monde localement, tout en préservant et entretenant l’environnement.
Comme le dirait mieux que moi un ami bûcheron sensible et artiste dans le Tarn, Mathias Bonneau, on peut voir la forêt comme un « tas de fric » ou comme un « ensemble vivant »…
Habituellement, la moitié de notre activité consiste à faire visiter et découvrir notre ancienne scierie, ce qui nous permet d’ouvrir ensuite grâce à ce magnifique lieu de patrimoine des portes sur l’environnement, la montagne, la forêt, et la découverte des métiers et du matériau bois, à travers des sorties nature ou des ateliers découverte de la menuiserie. Notre public, bien que notre région soit très touristique, est et reste le public scolaire!
Avec la crise sanitaire et les enjeux qui ont été soulevés avec elle, notre site fermé et les activités intérieures étant suspendues depuis 6 mois, nous nous sommes orientés sur des ateliers, des sorties et des formations nature et forêt 100 % à l’extérieur, ainsi que du bricolage dans les écoles, ce qui a répondu partiellement aux besoins de nature pour certains locaux. De plus, nous nous sommes positionnés comme accompagnants des collectivités sur des projets de territoire! C’est ainsi que nous co-construisons avec notre communauté de communes le plan de sensibilisation aux espaces naturels locaux…entre autres.
Grâce à certaines opportunités et le soutien de nos collectivités, nous réfléchissons en ce moment à un projet collectif de forêt multipédagogique, bénéficiant à nos activités mais également aux différents acteurs du territoire, comme les lycées professionnels, les gestionnaires de nos forêts, la population locale, etc. afin d’expérimenter la forêt de demain, ensemble. »
Avant de pouvoir (re)découvrir la scierie et la scie battante de l’Ecomusée du Bois en juin, Nicolas nous enjoint à profiter de ce mois de mai pour vivre la forêt autrement et à nous reconnecter à la forêt et au vivant, car « on en a tous besoin » !
Un enfant haut-savoyard l’interpella il y a quelques années avec la phrase suivante : « en fait, je me rends compte que si on fait du mal à notre environnement, on se fait du mal à nous mêmes, puisque nous faisons partie du vivant autour de nous ».
Tout est dit et la vérité provient – comme souvent – de la bouche des enfants… quand elle n’émane pas de la forêt !