J’avoue être bluffé par la maturité de ce garçon… je n’en étais pas là il y a 4 ans ! Pour lui, tout semble si clair, limpide. Il expérimente, il vie selon ses principes. A seulement 25 ans, Adrien tente une expérience hors du commun : vivre pendant un an sans huile de palme. Autant vous dire que c’est un pari osé, tant les industriels on tendance à mettre de l’huile de palme dans le moindre produit. J’adore ces rencontres, où l’on ne s’attend à rien de particulier et où l’on se laisse surprendre par des personnalités uniques et profondes. Mais trêve de blabla, laissons-lui la parole… c’est qu’il a des choses à dire ce jeune homme curieux et tellement vivant !
Bonjour Adrien, peux-tu te présenter brièvement ?
Adrien : Je m’appelle Adrien et j’ai 25 ans. Je suis actuellement en thèse de doctorat en géochimie après avoir fait des études en chimie et en environnement.
Tu es très informé en matière d’huile de palme : quelles sont les conséquences de son utilisation ?
Adrien : Les conséquences de l’utilisation la palme son multiples. Autant de raisons de s’en passer. Dans le cas où la palme est utilisée dans l’alimentation, elle a des effets délétères au niveau cardiovasculaire, comme d’ailleurs toutes les graisses saturées.
Mais la palme a surtout des effets environnementaux et sociaux. Elle est bien souvent issue de palmiers « industriels » d’Asie du sud-est. Cette culture engendre de la déforestation, des extinctions d’espèces, des déplacements de populations, de la pollution des terres, de l’érosion des sols, des émissions de CO2 (eh oui) des confiscations de terres, l’exploitation d’ouvriers à bas coût et dans de mauvaises conditions… Même si l’émission de CO2 est une conséquence qui parait étonnante, elle est bien réelle lorsqu’on prend en compte un bilan global. En effet, la déforestation est souvent effectuée par brulis (ce qui émet d’énormes quantités de CO2), et le palmier à huile ne sera jamais un capteur de CO2 aussi efficace que la foret vierge ou les zones humides. Au final, on croit que les agrocarburants issus de la palme sont neutres en CO2, mais il n’est est rien. Voilà un exemple, parmi tant d’autres, qui montre la complexité du problème.
Tu as décidé de ne plus consommer d’huile de palme pendant 1 an : qu’est-ce qui t’a décidé à sauter les pas ?
Adrien : Depuis un certain temps j’essaie d’être un citoyen responsable. Je fais attention un peu à tout en essayant de trouver des solutions viables aux problèmes environnementaux et sociaux. Mais l’idée du « régime » m’est venue suite à une discussion avec des amis qui n’étaient pas informés du problème de la palme. Le lendemain je lisais un article de journal évoquant une femme qui avait fait une année sans produits made in china. L’occasion pour elle de faire un bilan sur notre société et ses choix. Et puis de partager cette expérience pour éveiller quelques consciences.
Comment vis-tu cette expérience ?
Adrien : Je la vis bien ! L’expérience est enrichissante, j’ai des surprises et des déceptions. Mais les meilleurs moments sont ceux où je trouve des solutions qui se révèlent moins chères et plus drôles que ce qu’on nous propose en supermarché.
Est-ce que tu rencontres des difficultés ?
Adrien : Oui, mais pas là ou je le pensais. Les produits ménagers et d’hygiène sont bourrés de palme. Les alternatives ne sont pas toujours évidentes pour moi ! Je dois constamment me battre pour dénicher des informations. Sinon, vu que mon but est de ne plus consommer de palme du tout, tout en ayant une vie sociale, je dois parfois faire attention quand je suis de sortie.
Les indications sur les produits sont-elles suffisamment claires selon toi ?
Adrien : Non. Il existe plus de 60 noms sous lesquels la palme peut se cacher. Et même en connaissant ces noms, on n’est pas toujours sûr de l’origine des composés. Pour moi l’exemple emblématique est le composé E471. Cet additif est un émulsifiant appelé aussi mono et diglycérides d’acides gras. Or, il se trouve que dans certains cas il provient de la palme, et dans d’autres du colza ou du tournesol. Bref, un bazar monstre. Le pire, c’est bien sûr pour les produits ménagers : là il faut être chimiste (et encore !). Quand on lit sur un gel douche « sodium lauryl sulfate » il y a 95 % de chances pour que cet ingrédient soit issu de la palme. Or pour un citoyen lambda, aucune possibilité de savoir, à moins qu’il ne soit averti. Je milite pour des listes d’ingrédients et de composants qui indiquent les produits d’origines et leurs provenances.
Y a-t-il des alternatives à l’huile de palme ?
Adrien : Oui bien sûr. Mais le lobby de la palme veut nous faire croire que c’est impossible ou qu’elles aboutissent à des solutions pires encore.
Les alternatives existent : il existe par exemple maintenant beaucoup de chips qui sont à base d’autres huiles. Les industriels ont changé. Les plats préparés ne sont pas obligés d’en contenir, et certaines marques n’en contiennent pas. D’ailleurs, vous utilisez de l’huile de palme quand vous cuisinez ?
Certaines marques utilisent même l’argument commercial « sans palme » après avoir remplacé l’huile de palme par d’autres huiles : colza, tournesol, olive, etc. En fait la palme n’est pas chère, c’est à l’industriel de faire l’effort de la remplacer et d’assumer une partie du surcoût. Mais ça…
Comment les gens perçoivent-ils ta démarche (entourage, amis, collègues, et tous les autres) ?
Adrien : En général je suis surpris de leur enthousiasme et de leurs encouragements. Certains me disent, quelques jours plus tard, qu’ils ont épluchés les étiquettes de leurs produits à la maison. Bien entendu certains veulent aussi faire un effort pour la planète et me demandent des conseils pour la remplacer, mais là ça devient difficile : je n’ai pas fait de liste de marques et produits « autorisés ». Ma démarche est en générale bien comprise par mes amis car je peux leur exposer la problématique sans qu’ils n’aient trop d’à priori. J’ai été confronté à certaines personnes plus réservées comme à des lobbyistes de la palme ou à des commerçants. Leurs arguments sont bien souvent erronés et stéréotypés. L’exemple le plus flagrant est celui de me rétorquer que je ne propose pas de solutions. La solution est flagrante en fait : cela fait 3 mois que je vis sans palme, ça prouve bien que je trouve des alternatives !
Es-tu confiant dans la prise de conscience collective quant à ce problème ?
Adrien : Il existe tellement de combats écologiques que la palme n’est qu’un problème parmi tant d’autres. Je suis assez pessimiste quand je vois les centres d’intérêt de mes concitoyens. Mais en faisant mon action j’espère éveiller quelques consciences. Après, il suffit des fois d’une minorité pour faire changer les choses.
Tu communiques beaucoup sur ton expérience via un blog. Peux-tu nous en parler ?
Adrien : En commençant mon expérience, la première chose qui m’est passée par l’esprit était de partager mon expérience. Faire ça dans mon coin, je n’y trouve aucun intérêt. J’apprends des choses, je trouve des solutions. Alors pourquoi ne pas partager cela avec les gens ? Quand je découvre que la palme est utilisée dans la mozzarella d’une chaine de restaurant : pourquoi ne pas en parler ? Un certain nombre de personnes veut faire attention à la palme, mais par manque de temps et de moyens elles ne se doutent pas qu’on peut en trouver dans tout un tas de produits, comme les shampoings par exemple. Par ce blog je veux montrer là où on en trouve. Je veux proposer des alternatives viables. L’écologie c’est du sérieux et la démarche est complète.
Seul je ne change rien, à plusieurs, nous y arriverons. Via le blog je veux pointer ce problème du doigt et montrer les possibilités de changement.
Tu viens de lancer un livre blanc, je te laisse nous en dire d’avantage…
Adrien : Au fur et à mesure de mon aventure je me suis rendu compte que, le problème étant complexe, il fallait que j’aide le citoyen lambda à s’y retrouver. J’ai fait sur mon blog une liste des noms de dérivés de la palme que l’on peut trouver dans les produits, et une liste de noms de produits contenant de la palme. Ces pages étaient très consultées : une information claire et rapide. J’ai alors décidé de la rendre disponible sous forme d’un petit livret téléchargeable par tous.
Huile de palme – Le petit guide vert
Est-ce que tu penses pouvoir motiver d’autres personnes à tenter l’expérience ?
Adrien : Ma fiancée m’a rejoint après quelques jours. Dans mon entourage certaines personnes font maintenant attention. Je pense que même si ces personnes ne font pas un régime aussi extrême que moi, le simple de fait de faire attention à certains produits ou à certaines catégories de produits est déjà une victoire.
As-tu une anecdote particulière à nous faire partager ?
Adrien : Lors d’un de mes premiers échanges avec une entreprise « écologique » de produis d’entretien, j’avais demandé si les agents tensioactifs utilisés étaient à base de palme. On m’avait répondu : regardez la liste des ingrédients, il n’y pas la mention « palme ». Comme quoi, même les entreprises ne savent pas ce qu’elles vendent….
Quel message aimerais-tu faire passer à nos lecteurs ?
Adrien : Lisez les étiquettes, écrivez aux services clients. Bref ne vous laissez pas berner par la publicité et les emballages. Mais ne culpabilisez pas, le monde dans lequel nous vivons est tellement complexe que, pour parvenir à avoir une démarche écologique globale, il faut prendre son temps.
L’éco-blog : Merci de nous faire partager cette expérience Adrien. Nous ne manquerons pas de continuer à lire tes aventures et le récit de ton combat contre l’huile de palme via ton blog !
J’adhère à mort depuis deux ans ! Je passe un sacré temps au supermarché pour exclure tout produit contenant de la palme et me rends compte grâce à ce savoureux interview, qu’il y en a sans doute qui passent encore au travers des mailles de mon filet… Mais bon c’est aussi ce pourquoi je n’achète plus que des produits frais généralement locaux et certifiés bio, me concoctant des petits plats vachement plus sympas que ceux tout préparés. Fini aussi le Nutella qui était une véritable folie douce, et bien d’autres. De même je rejoins l’idée de cette femme dont Adrien parle: je fuis le made in China. Cependant, à moins de vouloir me trimbaler nue à travers les rues de Genève faute de vêtement éthique et pas chers, je n’ai d’autres choix parfois que de baisser la tête et descendre de mon nuage d’utopiste. Consommer éthique, c’est vraiment parfois très dur. Même le pain ou les céréales bio… quand on regarde l’étiquette, on peut voir « farine et céréales en provenance d’Amérique du nord », l’un des plus gros producteurs OGM… comment s’imaginer qu’il n’y en a pas dans mon pain bio malgré une certification. Par ailleurs, certains reportages TV ont démontré que ces certifications étaient parfois très douteuses…
Bref, au moins Adrien a un impact très positif sur son entourage. Et ça, c’est toujours un bon début.
Audrey,
Il est très difficile, même pour un citoyen très averti, de pouvoir consommer ce qu’il veut vraiment ! En effet, plus d’une personne m’a fait part de son arrêt de consommer de l’huile de palme depuis X années. Or ces dernières connaissent rarement le myristate de sodium ; un dérivé de la palme. Et c’est là que je suis révolté contre le lobby industriel qui se bat pour indiquer le moins de choses sur ses étiquettes. Je ne parle pas de l’utilisation de tourteau de palme dans la nourriture animale. Je suis aussi mécontent de certaines chaînes « impliquées dans l’écologie » qui utilisent quand même la palme, cachée sous un des 60 noms de dérivés existant !
Toujours est-il qu’il est mieux de faire attention sans forcément tout, connaitre car c’est un début.
Une initiative qui a l’air d’un voeu pieux, mais quand nous serons nombreux à en émettre ensemble, nous pourrons avoir un impact significatif sur la production alimentaire et cosmétique ! L’huile de palme est un désastre par sa destruction des forêts tropicales, par son émanation importante de dioxyde de carbone et par sa transformation par hydrogénation, catastrophique pour la santé ! Bravo, Adrien !